Une soirée d’anniversaire au rocher du Débarquement

A première vue, la photo ci-contre ne montre qu’un simple îlot perdu au milieu d’un champ d’icebergs. Pourtant, ce rocher représente une valeur significative dans l’histoire française et au-delà, celle de l’Antarctique. En effet, le 21 janvier 1840, une partie de l’équipage des 2 navires l’Astrolabe et la Zélée, participant à l’expédition dirigée par Jules Sébastien César Dumont d’Urville, débarqua ici entre 21h et 21h30. Ce rocher baptisé rocher du Débarquement pour l’occasion, fut également l’endroit où Dumont d’Urville pris possession de cette partie de l’Antarctique au nom de la France et la nomma Terre Adélie en hommage à sa femme Adèle.

« Il était près de neuf heures lorsque, à notre grande joie, nous prîmes terre sur la partie ouest de l’îlot le plus occidental et le plus élevé. Le canot de l’Astrolabe était arrivée un instant avant nous ; déjà les hommes qui le montaient étaient grimpés sur les flancs escarpés de ce rocher… J’envoyai aussitôt un de nos matelots déployer un drapeau tricolore sur ces terres qu’aucune créature humaine n’avait ni vues ni foulées avant nous. Suivant l’ancienne coutume que les Anglais ont conservée précieusement, nous en prîmes possession au nom de la France, ainsi que de la côte voisine, que la glace nous empêchait d’aborder. Notre enthousiasme et notre joie étaient tels alors, qu’il nous semblait que nous venions d’ajouter une province au territoire français par cette conquête toute pacifique. Si l’abus que l’on a fait de ces prises de possession les ont fait regarder souvent comme une chose ridicule et sans valeur, dans ce cas-ci, au moins, nous nous croyions assez fondés en droit pour maintenir l’ancien usage en faveur de notre pays. Car nous ne dépossédions personne, et nos titres étaient incontestables. Nous nous regardâmes donc de suite comme étant sur un sol français. Celui-là aura du moins l’avantage de ne susciter jamais aucune guerre à notre pays. »

Ce soir, le 21 janvier 2016 à 21h, c’est sur ce même îlot que nous avons débarqué, 176 ans jour pour jour et heure pour heure, après l’expédition de Dumont d’Urville. La météo était tout simplement sublime ; pas de vent, un beau ciel avec d’un côté le coucher de soleil sur la calotte glaciaire du continent et de l’autre, un magnifique lever de lune sur les icebergs. Nous avions réalisé pour l’occasion, notre propre plaque commémorative sur un simple morceau de carton. De nombreuses photos furent prises et quelques extraits du journal de Dumont d’Urville furent également lu par Huw, l’historien de l’équipe, tels le texte ci-dessus ou encore celui-ci:

« La cérémonie se termina, comme elle devait finir, par une libation. Nous vidâmes à la gloire de la France, qui nous occupait alors bien vivement, une bouteille du plus généreux de ses vins, qu’un de nos compagnons avait eu la présence d’esprit d’apporter avec lui. Jamais vin de Bordeaux ne fut appelé à jouer un rôle plus digne: jamais bouteille ne fut vidée plus à propos.« 

Nous serions bien restés de longues heures sur cet îlot, à contempler lever de lune et coucher de soleil en même temps, alors que les océanites de Wilson virevoltaient en rase-motte et sans un bruit autour de l’île. C’est non sans un brin d’émotion que nous quittâmes le rocher du Débarquement. De retour à bord du navire, l’équipe d’expédition ouvrit elle aussi une bouteille de vin sur le pont arrière pour porter un toast à ces explorateurs intrépides et à ce 176ème anniversaire de la découverte de cette Terre Adélie.

« Jusque-là et pendant tout le temps où des doutes avaient pu exister, je n’avais point voulu donner de nom à cette découverte, mais au retour de nos canots, je lui imposai celui de terre Adélie. Le cap le plus saillant que nous avions aperçu dans la matinée, au moment où nous cherchions à nous rapprocher de la terre, reçut le nom de cap de la Découverte. La pointe près de laquelle nos embarcations prirent terre, et où elles purent recueillir les échantillons géologiques, fut appelée pointe Géologie.« 

Mais cette soirée n’était pas encore terminée. Alors que nous évoquions cette journée autour de notre verre de vin, un groupe de 4 orques épaulards se fit remarquer, tenant de faire chavirer un morceau de glace sur lequel se trouvait un phoque de Weddell. Nous sommes restés plus d’une heure à observer cette scène de chasse incroyable qu’aucun d’entre nous n’avait encore vu de ses propres yeux ! En quittant les îles Dumoulin, le phoque était toujours sur son bout de glace, la lune encore plus haute, les lumières projetaient des teintes magiques sur les îles et les icebergs. Il fut difficile d’aller se coucher ce soir là. Un 21 janvier pas comme les autres, dans un calme impérial…

Le rocher du Débarquement se trouve par 66°36.314’S 140°3.842’E dans l’archipel des îles Dumoulin (Clément Adrien Vincendon-Dumoulin était l’hydrographe de l’expédition). L’îlot mesure 175 m de long pour 52 m de large et se situe à 7 km au Nord-Est de l’île des Pétrels et de la base scientifique française Dumont d’Urville.


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