Le tourisme en Antarctique

Loin d’atteindre les effectifs de visiteurs en Arctique, le tourisme en Antarctique a pris de l’ampleur d’année en année. Avec pas moins de 44 000 personnes ayant posé le pied sur le continent au cours de la saison 2018-2019, les voyages vers cette destination ne vont pas sans soulever quelques interrogations sur les impacts réels de cette activité notamment sur l’environnement.

Proportionnellement à l’immensité du continent, cette activité ne se développe que sur une infime partie du territoire : ainsi, 98% des touristes débarquent en péninsule Antarctique en provenance d’Ushuaia en Argentine. Seuls 1 ou 2 navires partent d’Australie et de Nouvelle Zélande pour gagner notamment la mer de Ross. Pourquoi essentiellement la péninsule ? Les explications sont simples :

– tout d’abord, Ushuaïa se trouve à seulement 900 km de la péninsule antarctique soit à peine un à deux jours de mer, alors que depuis l’Australie, un minimum de six jours est nécessaire pour effectuer les 2 700 km de traversée. Ces durées de navigation sont bien évidemment conditionnées par la météo : le mauvais temps sous ces latitudes se charge aisément de rajouter quelques jours de mer.

– ensuite, et au-delà de cette proximité avec l’Amérique du Sud, la péninsule antarctique compte parmi les lieux privilégies affichant les plus importantes concentrations animales. Cela est notamment vrai pour les oiseaux avec des colonies pouvant aller jusqu’à cent cinquante mille couples sur un même site (manchots par exemple). Mais il faut noter également des zones importantes de nourrissage pour les baleines, et la présence d’autres espèces telles les éléphants de mer ou les otaries à fourrure.

– puis, ce sont bien sûr les paysages particulièrement grandioses en péninsule antarctique qui fascinent. Nous sommes dans une zone de montagnes, prolongement géologique de la cordillère des Andes, contrairement à la cote Est de l’Antarctique exclusivement constituée d’une immense calotte glacière et de glaciers. De ce fait, il est possible d’assister à de somptueux panoramas mêlant glaciers, icebergs et sommets aussi inquiétants que majestueux…

– enfin le fait de fréquenter cette partie de l’Antarctique, permet de pouvoir visiter des bases scientifiques, puisque près d’un tiers de ces dernières se trouvent ici et notamment sur l’île du Roi George. Des stations majeures comme Frei pour le Chili ou Esperanza pour l’Argentine, sont ainsi régulièrement visitées au cours de l’été austral offrant souvenirs, visites guidées, mais de surcroît zone de secours et de repli en cas de problème. En effet, la base de Frei dotée d’une piste d’aviation, est utilisée parfois en été, afin de rapatrier vers l’Amérique du Sud des passagers ou membres d’équipage souffrant de troubles nécessitant un transfert.

Bien qu’il ait le vent en poupe, le tourisme en Antarctique n’est pas nouveau : celui-ci a débuté dans les années 1950, mais il faut attendre le début des années 1990 pour voir les premiers effectifs atteindre les 5 000 personnes. L’augmentation de cette fréquentation est importante et se chiffre pour la saison 2007/2008 à 46 000 touristes acheminés par 55 navires environ.

La seule évocation de l’Antarctique fait référence à la pureté, la magnificence et donc leur corollaire : la fragilité de l’inviolable face aux actions humaines. La question du tourisme dans cette région du globe, soulève de nombreuses interrogations et inquiétudes quant à l’impact sur l’environnement. Ne pas se poser la question, ne pas tenter de solutions, est une position irresponsable. Les sites visités en Antarctique sont souvent les mêmes d’année en année, avec parfois sur plusieurs jours, un navire le matin et un autre l’après-midi déposant des passagers. Ces sites sont donc soumis à une pression importante et occasionnent à l’évidence des problèmes de dérangement de la faune. Dérangement d’autant plus lourd de conséquences que l’été austral correspond à la saison de reproduction de la plupart des espèces animales ou du moins des oiseaux qui viennent à terre pour ce faire. Enfin, la présence de navires en Antarctique pourrait avoir des conséquences catastrophiques en cas d’avaries majeurs (rejets dans l’eau de matières toxiques par exemple). Il convient de noter d’ailleurs que seulement un dixième de la flotte de croisière est composée de brise-glaces ou de navires à double coque. La navigation est donc rendue particulièrement sensible, imposant aux équipages une attention importante, sachant en plus, qu’en cas d’avarie, il n’est pas possible d’obtenir une assistance dans les heures voire les jours qui suivent le sinistre, du fait de l’éloignement avec le reste du monde. De rares accidents ont déjà eu lieu : collision avec de la glace, effondrement de glacier, mauvais temps, récifs… En novembre 2007, le naufrage du navire Explorer pourtant habitué à la navigation en Antarctique, aurait pu avoir de lourdes conséquences en cas de mauvais temps et si l’assistance n’était pas arrivée rapidement.

Dans ce genre de situation les bases scientifiques sont souvent mises à contribution afin de porter assistance, mais cela mobilise du monde, des moyens financiers et matériels importants, dans des conditions parfois périlleuses. Certaines bases refusent d’ailleurs de recevoir des visites arguant du fait que cela perturbe le bon déroulement de la vie de la station et des travaux scientifiques menés sur place, ou tout simplement qu’elles ne sont pas équipées pour recevoir du monde.

Le simple mot « tourisme » tel que défini au dictionnaire comme « l’action de voyager, de visiter un site pour son plaisir » est déjà, en terme environnemental de protection de la nature, une question. Mais attention à ne pas mettre tout le monde dans le même panier ! Après tout, ne sommes-nous pas tous des touristes dès que nous sortons de chez nous ? Il est important de préciser qu’une prise de conscience est venue des tours opérators dès 1991, avec la création par sept d’entre eux de l’IAATO (International Association of Antarctica Tour Operator ou en français Association internationale des Tours Opérators en Antarctique). Cette association a pour but de promouvoir un tourisme respectueux en Antarctique, d’un point de vue patrimonial, celui concernant le vivant (faune et flore), mais également le bâti (bâtiments et hauts lieux historiques). Elle s’est particulièrement bien développée puisqu’en 2011, l’IAATO n’affiche pas moins de cent membres volontaires. Sans compter qu’avec son expérience du terrain, l’organisation prend une part très active dans les différentes réunions consultatives du Traité sur l’Antarctique.

A consonance « Label de Qualité » à volet international, l’IAATO demande à ses membres de respecter un certain nombre de directives en faveur de l’environnement, et ce, en étroite relation avec les pays signataires du Traité sur l’Antarctique et la communauté scientifique. Voici quelques exemples (liste non exhaustive) de directives appliquées : distances maximales d’approche de la faune, interdiction de débarquer pendant les périodes de reproduction sur certains sites ou si les animaux sont trop prêts et que la gêne est estimée par le chef d’expédition comme trop dérangeante, limite fixée à cent passagers autorisés à débarquer en une seule fois, l’interdiction faite à un second navire de se trouver sur le même site et au même moment que le précédent, le nettoyage des bottes et vêtements et ce, avant et après débarquement au moyen de bacs de décontamination, afin de limiter le risque de transport de germes d’un site à un autre…

Concernant les navires des règles strictes sont appliquées quant à la gestion des déchets (pas de rejets en mer, tri des déchets, recyclage, traitement des eaux usées). Les bateaux changent également de combustible en zone Antarctique, passant ainsi en « marine gasoil » qui ne créé pas de marée noire en cas d’accident, mais coûte beaucoup plus cher aux compagnies.
Il est indispensable de préciser également que les membres des staffs d’expédition et les équipages, ont très souvent un important passé personnel polaire et qu’au vu de leur expérience spécifique recherchée et de leurs connaissances complémentaires (sur l’histoire, la faune, la flore, la navigation dans les glaces, la géopolitique, la sécurité…), ils assurent non seulement un encadrement pédagogique certain et toujours dans le respect de la nature, mais en plus font exécuter les règles de sécurité avec toute la vigilance requise. Il n’est pas sûr d’ailleurs que l’on en trouve l’équivalent pour d’autres destinations.

L’IAATO dispose aussi d’un rôle d’observation, signalant par exemple toute activité illicite rencontrée telles les pêches ou chasses illégales, repérant la présence anormale d’objets (bouée, ligne dérivante…), ou encore notant l’observation d’espèces peu connues ou extrêmement rares (exemple du dauphin crucigère). Bien sûr, et on ne manque pas de le regretter, toutes les compagnies voyageant en Antarctique ne sont pas membres de l’IAATO et qui peut dire si elles adoptent un comportement en faveur de l’environnement ? Personne.

Depuis peu, enfin, quelques études visant à mesurer l’impact du tourisme en Antarctique sont mises en place (île Peterman et Port Lockroy par exemple) : il faudra encore quelques temps cependant pour en apprécier les résultats, et sans omettre de les placer en regard d’autres impacts très importants qui ne sont pas la conséquence du passage des visiteurs.
De plus il convient de rappeler que, pour l’instant, Traité sur l’Antarctique oblige, aucune infrastructure ne peut et n’a le droit d’accueillir des personnes sur place afin de permettre des séjours de longue durée. Il y a donc débat entre les tenants de la volonté de préserver l’Antarctique en interdisant son accès pour le dédier exclusivement à la science, et ceux d’une régulation très stricte ouvrant la possibilité de venir en visite et le protéger en le faisant mieux comprendre. Le débat demeure ouvert non plus sur la nécessité ou non de préserver ce patrimoine, mais sur les moyens à mettre en place pour atteindre cet objectif.

Le tourisme est dorénavant présent en Antarctique. Les organisateurs de voyages pour leur part et la communauté internationale pour la sienne, tentent de poursuivre leurs efforts dans la mise en place d’un système de régulation afin de préserver au mieux les ressources de ce continent et leur rôle dans la conservation de notre planète. L’impact de cette seule activité touristique semble cependant bien négligeable, au regard des changements climatiques majeurs que subit notre planète et qui pourraient affecter l’Antarctique dans le futur. On entend même parfois dire ça et là « que certaines bases scientifiques sont sans doute beaucoup plus dégradantes pour l’écosystème que de simples visiteurs ». Il reste aux tours opérateurs, staff d’expéditions, scientifiques et membres du Traité sur l’Antarctique, de garder une vigilance sans cesse accrue face à cet engouement du venir-sur-place, en faisant du partage de leurs compétences, de leurs connaissances une condition supplémentaire, et à part entière, de la protection de ce dernier territoire sauvage.

 

Références :


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3 réponses
  1. sarah dit :

    j’ai eu la chance incroyable de découvrir l’antarctique en touriste fin 2009. c’est un des plus beaux voyages que j’ai fait, mais c’est vrai qu’on se sent un peu coupable de fouler ce continent si pur et vierge de toute pollution. l’équipage de mon bateau (antarctic dream, au départ d’ushuaia) était en tout cas très vigilant sur les procédures de respect de l’environnement dont vous parlez.

  2. Jo dit :

    Article 5 étoiles .***** Merci Sam (Et on peut préciser qu’un touriste passe en moyenne 4 à 8 heures sur le continent , ( ou îles) et ce durant seulement 3 ou 4 mois de l’année, alors que les « scientifiques » des mois et des mois et 24h sur 24.(Dysproportionnalité de temps de séjour)

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