Yvon dans les 50èmes

Le 18 octobre 2005, j’embarque enfin sur L’Astrolabe, le navire polaire français basé à Hobart en Tasmanie. Dans les coursives du navire, tout juste larges d’un mètre cinquante, je croise un homme à peine plus grand que moi, à la barbe et aux cheveux gris. Quelques heures plus tard, à la passerelle, j’apprends qu’il s’agit du commandant Yvon Guédez.

C’est donc lui qui m’a mené jusqu’en Terre Adélie après dix jours de mer, dont cinq à tenter de trouver un passage dans les glaces. Je me rappelle même qu’une fois il avait lancé « bon j’en ai marre, je vais faire une sieste et je recommencerai après » (sous entendu à faire avancer le navire dans les glaces). Mais un grand souvenir reste pour moi, cette nuit là, alors que je n’arrivais pas à trouver le sommeil (à cause des roulis ou de l’excitation, peut-être même les deux), je suis monté à la passerelle, il y faisait un noir inquiétant, seule la lueur de l’écran de contrôle du radar permettait un peu de distinguer quelque chose. Il était là, assis sur son siège. En me voyant il s’exclama « ah, encore l’ornitho ! ». Oui car selon lui, « chaque année il y a le même guignol avec ses jumelles autour du cou qui ne décolle pas de la passerelle ». Il faut dire que c’est le meilleur endroit qu’un ornithologue puisse trouver pour y observer les géants ailés de ces contrées du grand sud. Puis nous avons parlé mer, Antarctique, glace, famille. A ma demande, il me raconta quelques histoires de marin. Je garde notamment encore à l’esprit celle, où pour la seule fois de sa carrière il avait dû lancer un SOS, une vague violente ayant brisé les vitres de la passerelle et inondé cette dernière. C’est aussi cette matinée là (et oui le temps passe avec les histoires de marin) qu’il m’avait confié effectuer sa dernière rotation avec la Terre Adélie avant sa retraite. Je ne l’ai jamais revu. La triste nouvelle de son décès m’étant parvenue, il ne me reste plus qu’à espérer que les albatros l’ont accueilli là-bas, dans leur vaste désert des 50èmes…


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